20.10.19

Ce dimanche 19 octobre, vers 11h30, j’ai pris le bus 91, à l’arrêt Jean-Pierre Timbaud, en direction de la Gare de Lyon. Je devais y retrouver pour déjeuner mon ami britannique Mark Sinclair, qui, en compagnie de son jeune garçon Joseph, âgé de neuf ans, était de passage à Paris.

Il pleuvait abondamment. Je suis monté dans le bus, qui sur cette ligne utilise des voitures doubles, liées par un accordéon de caoutchouc et de métal. Je me suis assis tout à l’avant, à la place solitaire située à droite, dans le sens de la marche. Le bus n’était pas très plein, de nombreux sièges restaient inoccupés. Au centre, deux jeunes femmes menaient une conversation bruyante autour d’un handicapé en fauteuil, que j’entendais dans mon dos. Ils divergeaient sur le fait de savoir s’il faut répondre à des insultes par des insultes, pour ne pas se laisser faire. Un monsieur maghrébin âgé a pris part à l’échange, sur un ton confidentiel. L’homme au fauteuil a dit, à deux reprises, oui monsieur on est d’accord, mais on n’a pas le temps.

À un arrêt suivant, je ne sais plus lequel, est montée une dame. Noire, de corpulence imposante, elle n’était pas jeune, et semblait marcher avec difficulté, encombrée par deux gros sacs de plastique, et plus encore peut-être par ses propres membres, larges bras, fesses volumineuses et rebondies, poitrine imposante, avec difficultés articulaires, ou dorsales. Elle portait un turban autour de la tête. Son visage avait l’aspect massif et poupin que présentent souvent les arrivants de ces contrées. Montée par l’avant (dans ces longs bus, on peut entrer par le milieu ou l’arrière) et donc tout près de moi, elle se déplaçait lentement, avec lourdeur. J’ai vu qu’elle ne validait aucun titre de transport. Son aspect, ses vêtements montraient une grande pauvreté – avec ce port souverain, ample, presque royal. Elle a jeté un regard vers le conducteur, dont je n’ai perçu aucune réaction. Malgré ma vision de biais, le panneau derrière son dos me cachait sa tête.

Un moment, elle a semblé indécise. Puis elle a tiré de son sac deux ou trois feuilles de papier de ménage, plus épaisses et larges que celles qu’on extrait de l’habituel rouleau domestique. Elle a posé ses sacs, s’est penchée profondément vers l’avant, pliée en deux, et a commencé a essuyer le sol du bus, tout à l’avant, avec ses feuilles blanches, qui ont vite bruni. Comme si elle essuyait une tache qu’elle venait de faire, ou ramassait un objet humide tombé de ses bagages. Mais rien n’était tombé, elle ne ramassait rien. Tout à l’avant du bus, elle a frotté l’espèce de moquette rugueuse, le tapis de sol au dessus des marches d’entrée. Je ne décelais pas quel dégât elle voulait effacer. Puis, se déplaçant par tout petits pas, d’abord sur ses côtés puis un peu vers l’arrière, elle s’est mise à nettoyer l’espèce de linoléum ciré qui tapisse le couloir central. En restant toujours proche de l’avant, et en frottant méthodiquement une surface d’un mètre carré environ. Il pleuvait beaucoup dehors, les pas maculaient le couloir.

Elle était pliée en deux, la forte dame noire avec son épaisse et grande corpulence, ses mouvements difficiles. Je me suis demandé si elle ne cherchait pas à excuser son ticket manquant, ou à en compenser le prix. Cela durait. Elle restait silencieuse, nettoyant une surface assez importante au regard de son outil, puis progressant avec lenteur vers l’arrière. Je ne sais pas jusqu’où elle continuerait. Aucun passager n’est monté par l’avant. Une personne au moins s’est approchée au dehors avec une valise, mais apercevant sa masse au-dessus des marches a bifurqué vers l’autre porte. Le conducteur ne disait rien, les passagers les plus proches semblaient ne pas la voir.

Je suis descendu devant la gare, m’éloignant par le couloir et empruntant la porte du milieu. Elle nettoyait encore.