Le « Journal public » est en cours de réorganisation, percuté par la conclusion qui approche pour plusieurs travaux de longue haleine, dont certains sont évoqués dans la note ci-dessous (Triptyque des seuils du 20 octobre 2023), et d’autres seront présentés ici bientôt.

Le journal devrait reprendre sa marche sans trop tarder. Merci à celles et ceux qui lui marquent de l’attention.

Pour la troisième fois, je viens de porter à son terme ce que j’ai longtemps appelé « le chantier ». Troisième fois : la première en 2016-17, la deuxième en 2018 [1] et la troisième aujourd’hui. Ce travail d’écriture, entrepris à la fin de l’année 2008, m’a donc occupé, à ce jour, exactement quinze ans. Pas exclusivement bien sûr, mais de façon très prenante et tout de même exclusive à certaines périodes, comme ces derniers mois. Rappelons ce dont il s’agit.

À l’automne de 2008, dans un certain désarroi sous l’effet d’événements personnels et professionnels mêlés, j’ai voulu tenter de m’expliquer avec Éros. Je l’ai fait d’abord, pendant quelques mois, sous la forme d’une sorte d’autobiographie érotique, dans laquelle j’ai consigné mes souvenirs et mes questions avec le plus de loyauté dont je me sois senti capable dans une telle matière. Or, à peine cette première écriture terminée, d’un trait (au printemps 2009), au lieu d’en amorcer la révision comme cela m’était habituel, j’ai immédiatement mis en chantier un deuxième livre, un essai, théorique, sur les mêmes questions. Puis, avant même d’avoir mené celui-ci au bout, et sans en abandonner l’écriture, j’ai entamé de façon tout à fait déraisonnable la rédaction d’un troisième ouvrage, qui se présentait, lui, comme ce qu’on appelle généralement une fiction, d’allure romanesque, et qu’en l’occurrence j’ai toujours préféré désigner comme une fable. Tout cela a été réalisé, dans un élan torrentiel, jusque, me semble-t-il, en 2010 environ.

Le résultat constituait un ensemble très volumineux. Plusieurs centaines de pages en tout, dont la moitié environ pour le premier volume, et un quart pour chacun des deux suivants. J’ai présenté cette tentative, publiquement, à deux reprises : au tout début de la mise en route, à l’occasion d’une invitation à Montreuil par le groupe d’équipes Cap* [2]. Cette première présentation, intitulée « Route de nuit », est inédite à ce jour. Je la publierai peut-être un jour ici. Le second exposé a été donné en clôture du colloque qui m’a été consacré à Lausanne et Genève à la fin 2017, et dont les actes ont paru aux éditions Metispresses (Genève) en 2020 [3]. Mon intervention y figure sous le titre « Le chantier ». C’est à cette occasion que j’ai eu conscience, à nouveau, du fait que le travail n’était pas encore dans un état satisfaisant pour moi. J’en ai alors entrepris une révision générale, tout en respectant sa structure d’ensemble, en 2018 [4]. Enfin – si je peux employer ce terme –, de façon tout à fait inattendue, j’ai remis le tout en chantier depuis cet été 2023, avec la conviction de trouver le résultat aujourd’hui, sinon définitif, au moins à peu près stabilisé.

Cette nouvelle forme est très différente des précédentes. D’une part, il s’agit maintenant de trois ouvrages, assurément liés par leur objet, mais distincts, lisibles séparément. En effet, dans la première version, les « genres » littéraires ne cessaient de se mêler dans les trois parties : l’autobiographie initiale comportait de longs développements théoriques sur Platon. L’essai médian comprenait des digressions autobiographiques nombreuses. Et la fable finale était abondamment mêlée d’autobiographie et de réflexions, portant en particulier sur le processus d’écriture lui-même. Ce qui m’avait conduit, un temps, à concevoir – et à proposer à des éditeurs, très perplexes – l’ensemble comme un seul livre, intitulé d’abord Eros, chantier, puis L’Expérience. Cela faisait un volume à la fois écrasant par sa taille et insaisissable par l’incessant va-et-vient de ses formes. Dans sa construction d’aujourd’hui, ces croisements ont été éliminés, de sorte que chaque livre ressortit clairement à un genre : récit « autobiographique » (je précise ci-dessous), essai de réflexion, affabulation romanesque. D’autre part, les volumes sont devenus bien plus courts, chacun correspondant à 150 pages environ. Des parties entières ont été supprimées, et les trois ouvrages ont été resserrés, dans le but de leur donner une forme plus droite et plus ferme.

Ce sont donc désormais trois livres, terminés, présentables. Je ne leur connais pas de titre d’ensemble fixé, et peut-être n’en faut-il pas. Pour mes fichiers personnels, je les rassemble sous la rubrique de Triptyque des seuils (comme un écho à la Trilogie de Pâques de mes années 1984-1992). En voici une brève présentation.

L’essai, initialement écrit en second, devient le premier panneau de ce triptyque. C’est celui dont j’ai repris d’abord, en cet été 2023, la réfection. Pourquoi ? Certains de mes lecteurs, proches amis, consultés durant ces années de gestation, l’avaient reçu comme le travail le plus visiblement nécessaire, et avaient pensé sa publication comme la plus envisageable dans un premier temps. C’est aussi l’impression que j’en ai eue, après une longue pause (2018-2023), durant laquelle, après quelques tentatives d’édition, j’ai bien cru bien avoir rangé le tout au placard des espoirs sans suite. Mais brusquement, sans m’y attendre, cependant que je travaillais à autre chose, j’ai vu clairement surgir la possibilité d’en faire un essai net, simple, qui disait sans détours ce qu’il avait à dire. J’ai alors délaissé tous les travaux en cours et, pris d’une véritable addiction d’écriture, j’ai donné corps à cette nouvelle version d’un seul trait. J’y ai réintégré les parties sur Platon qui figuraient dans le récit biographique et, inversement, supprimé les incessants écarts personnels qui venaient croiser la réflexion. J’ai changé le titre, reprenant celui d’Homosexualité transcendantale, qui était déjà le nom d’une conférence donnée en 2007 à la Sorbonne sur le dramaturge Jean-Luc Lagarce, à propos de sa pièce Le Pays lointain [5]. Je souhaite d’ailleurs en republier le texte, qui a tout lancé, en annexe de l’ouvrage. J’ai terminé cette réfection à fin de juillet 2023, et l’ai fait parvenir illico à plusieurs de mes connaissances qui pouvaient être de bon conseil. J’ai reçu des échos très encourageants, et en tout cas une belle proposition de publication. L’ouvrage devrait voir le jour, seul, en 2024 j’espère. Je préciserai ici, dès que possible, le lieu et la date de cette édition.

La chose étant ainsi relancée, et sous l’effet de ces premières réactions positives, qui différaient nettement des précédentes, je n’ai littéralement pas pu m’empêcher d’entamer la reprise du premier volume qui, on le comprend, devient désormais le deuxième. Cette autobiographie a été allégée d’une de ses parties – un bon tiers – et, plus encore que l’essai, considérablement resserrée, voyant disparaître de nombreux développements qui, subitement, ne m’ont plus paru indispensables. Cela fait un récit qui trace plus décidément sa route. Je ne l’ai à ce jour soumis à aucun nouveau regard. Il s’intitule Surfaces, profondeurs. Est-ce vraiment une autobiographie ? Oui et non. Assurément la matière est extraite de mon expérience. Mais, pour d’évidentes raisons de respect, tous les noms de personnes et de lieux ont été transposés de la façon la moins reconnaissable possible (sinon pour les tout proches, peu nombreux [6]), et, au-delà, l’affinement ou la condensation que j’ai opérés font que le récit « colle » moins à mon histoire, et devient une sorte d’épure biographique, à ce titre relativement transposée. Le narrateur y est anonyme. On pourrait dire, si le nom n’était pas trop lourd, que c’est plutôt une para- ou une méta- biographie – ou, plus simplement, une écriture de soi, une autographie [7]. Nous verrons.

Enfin, j’ai considérablement transformé le troisième livre. D’une part, j’ai supprimé tous les noms de personnages et de lieux – concernant ici des figures inventées –, les remplaçant par des périphrases, et surtout, pour les personnes, par des initiales abstraites. Un peu comme dans certaines dernières œuvres de Beckett. Et j’ai tellement resserré l’ensemble, éliminant toutes les digressions et les autocommentaires qui figuraient en grand nombre, que le résultat, initialement assez bref, prend maintenant la taille d’une sorte de longue nouvelle, de soixante-dix pages environ. J’aime beaucoup mieux ce texte, que je trouve fait pour être lu – ce n’était peut-être pas tout à fait le cas de la version précédente. Une de mes amies me racontait tout récemment, à propos d’un de ses premiers livres, qu’un excellent éditeur lui avait désigné tous les développements environnants comme « l’échafaudage » qui avait servi à bâtir le livre, et qu’il fallait alors retirer. C’est exactement ce qui m’est arrivé. Mais le mien (qui n’est pas le premier…, quoique tout de même oui, si c’est une sorte de roman) apparaît désormais comme un discret petit bâtiment, fin, dégagé. Il me semble qu’il tient debout. Cela s’appelle Devant la maison. Le titre est inchangé depuis le début.

Constatant alors la grande brièveté de ce troisième ouvrage, et aussi sa forme, j’ai eu l’idée de lui adjoindre une série de petits récits écrits en 2021, autour d’une nouvelle assez consistante intitulée Jean Durant. J’ai d’abord craint que cette mise bout à bout soit artificielle. Mais, à la lecture, il ne me le semble pas – surtout parce que l’objet de ces récits s’articule clairement à celui des trois livres du chantier. Nous verrons. En tout cas, cela s’intitule désormais : Devant la maison suivi de Histoires de Gilles. Gilles est le nom du narrateur qui court dans ces nouvelles (venues).

À ce jour, je constate avec un grand étonnement la mise au point, à peu près stable, d’une entreprise qui m’aura tenu quinze ans. Je ne suis pas certain de chercher tout de suite, en tout cas très activement, une publication pour les volumes II et III. Je vais d’abord observer comment se développe le projet d’édition de l’essai, qui méritera bien, pour le coup, cette appellation.

(20 octobre 2023)

*

[1] Voir sur ce site : Panneau : sortie de chantier, Actualités, le 23.07.2018.

[2] Prononcer Capétoile. Il d’un regroupement de plusieurs compagnies (théâtre, danse, cinéma). En l’occurrence l’invitation émanait de la compagnie Le Réseau et de son animateur Bernard Bloch, ami de toujours. La séance a eu lieu le 18 mai 2009.

[3] Voir sur ce site l’annonce de ce colloque, et celle de la parution du livre qui en est issu.

[4] Cf. ci-dessus note 1.

[5] Le texte de la conférence a été publié dans les actes de cette rencontre, et repris dans mon volume Livraison et délivrance, Belin, 2009 (dans la collection « L’extrême contemporain » que dirigeait le cher Michel Deguy.) Cf. le compte rendu de Jean-Louis Jeannelle dans « Le Monde », le 4.06.2009.

[6] Ma vie s’étant déroulée comme elle l’a fait, il ne s’agit là d’aucune célébrité, et dans le public personne ne devrait se précipiter pour les reconnaître. Ce n’est en aucune façon une écriture « à clés ».

[7] Cf. « Althusser autographe », in Livraison et délivrance, op. cit., pp. 245 et suiv.

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21.06.2022

La délicieuse machine à écrire de marque Underwood, dont l’image surgit en tête de toutes les entrées de ce « Journal public » depuis son début, outre le charme délicatement suranné qu’elle dégage, fait référence à un événement, qui a conditionné mon histoire d’écriture, et que voici.

Mon oncle Joseph Sarfati, époux de la sœur de mon père (Liliane), tenait à Oran une boutique de fripes. Boutique, c’est peut-être beaucoup dire : il s’agissait d’une sorte de dépôt ouvrant vaguement sur une place du bas de la ville, et où les « balles » de vêtements, qu’on disait venues d’Amérique, s’empilaient avant d’être éventrées (dans les locaux, mais en débordant souvent sur la façade) et vendues, à je ne sais qui et je ne sais comment – par une forme de commerce de gros sans doute. Toujours est-il que nous rendions visite, de temps en temps, à ce comptoir à ciel ouvert. Nous : mon père, parfois mon frère, moi souvent à une certaine époque. L’oncle était tonitruant et joyeux.

Il avait à son service une jeune employée, qui si je comprends bien était sa nièce. Elle s’appelait Claudine, et je crois me rappeler qu’elle était une fille d’Odette, sœur de l’oncle Jo le fripier. Ils partageaient tous trois comme une structure du visage, légèrement arrondi, troué de grands yeux et défoncé par l’échancrure d’un énorme sourire. Je ne saurais dire l’âge de Claudine à l’époque dont je parle. Elle faisait fonction de « secrétaire », ce qui signifie qu’elle « tapait à la machine » les divers courriers et documents du commerce. Je me souviens d’une petite alcôve toute proche de l’entrée, contiguë à la grande ouverture et flanquée immédiatement à gauche comme une guérite de garde. Elle y avait une petite table pour lieu de travail. Sur le plateau se tenait une Underwood. Identique à celle qu’on peut voir reproduite dans l’image ci-dessus.

Cette machine m’était l’objet d’un émerveillement infini. J’adorais écrire – à quelque treize ou quatorze ans, et depuis la première enfance – et me piquais d’espérer devenir poète, écrivain, auteur de théâtre ou quelque chose d’analogue. J’avais vu dans les films ces instruments somptueux (souvent des Underwood) qui servaient d’outils d’élection à des écrivains, des journalistes, lesquels faisaient défiler les feuilles au rythme fou de leur inspiration déferlante. La course aux pages était scandée par le geste, aujourd’hui oublié, qui actionnait de gauche à droite et avec la main gauche un petit levier métallique (on l’aperçoit sur l’image), afin de chasser le chariot lorsqu’une ligne était finie pour commencer de « taper » la suivante. Je rêvais d’imiter ce mouvement qu’exécutait Claudine, et de taper à la machine mes poèmes et productions exaltées.

Il manquait à cela deux conditions : d’une part, je devais apprendre à dactylographier, et d’autre part, surtout, détenir un jour une machine. Mon père m’avait annoncé qu’il tenterait de s’en procurer une. Or, il arriva, un certain été (un début d’été, ou un peu avant, quand les chaleurs s’amoncellent) qu’au cours d’une visite l’oncle Jo, qui m’aimait bien, ou Claudine, je ne sais plus, nous apprirent une nouvelle renversante : le comptoir allait se voir doté d’un instrument de travail plus moderne, et Tonton Jo pourrait donc bien se séparer de la vieille Underwood. Mon père fit part de notre intérêt, et Jo déclara que, dès qu’une nouvelle machine apparaîtrait dans l’entrepôt, l’Underwood serait pour moi.

Je ne peux pas dire à quel point la perspective me bouleversa. Ni décrire l’intensité de l’attente dans laquelle je fus projeté à partir de ce moment. À la fois explosion de joie intérieure (manifestée aussi) et torture de voir les jours passer en guettant le grandiose transfert. Je me souviens d’au moins une ou deux visites à la friperie, où je posai discrètement la question à Claudine, qui me dit, mais oui, mais oui, ça va venir. Le temps de l’adolescence, qui plonge dans l’enfance toute proche, est sans commune mesure avec la rythmique et les durées des adultes. Cela me sembla interminable, figé dans l’immobilité de l’été d’Oran. Mais le jour arriva, et je me retrouvai, à la maison, dépositaire de l’incroyable Machine.

Je ne savais pas m’en servir. Il y avait dans notre famille, peuplée d’une myriade d’instituteurs et maîtresses de l’École publique, tout de même un ou deux commerçants – souvent parents par alliance. C’était le cas de mon parrain, Tonton Félix, qui trônait dans une petite boutique d’électricité, où travaillaient avec lui son fils, Émile, et de façon intermittente l’épouse de celui-ci, Cécile, secrétaire aussi et qui savait brillamment taper à la machine. Je lui exposai mon problème, et demandai si elle ne voulait pas me donner quelques leçons. Elle répondit : pas besoin. Tu poses tes deux mains sur le clavier, à hauteur de la ligne médiane. Tu répartis les doigts sur les touches portant des lettres. Aux extrémités de la ligne, à droite le petit (l’auriculaire) sur la dernière lettre (pas sur les signes à côté, sur la lettre), et de même à gauche avec l’autre. Après, tu poses un doigt sur chaque lettre, sans jamais t’occuper des deux pouces. Avec quatre doigts sur quatre touches, de chaque côté il va rester deux touches libres au milieu. C’est pour les index, agiles, responsables de deux touches chacun. Les pouces sont hors du jeu : celui de droite, lui seul, ne fait qu’appuyer sur la barre des espaces, au-dessous, rien d’autre. Tu laisses les deux mains symétriques, bien posées sur les touches. Lorsque tu dois frapper sur la ligne du dessus, tu montes les deux mains ensemble. Pour la ligne du dessous, tu descends les deux mains. Rien de plus à faire. Mais il faut absolument que tu t’imposes de ne taper une touche qu’avec le doigt qui lui correspond, en t’interdisant absolument de chercher la lettre avec tes index. Si tu tapes avec les index, tu auras l’impression que ça va plus vite. Mais tu ne sauras jamais taper à la machine. Si tu t’obliges à respecter sans faille la règle que je t’indique, cela prendra un peu de temps, tu apprendras et tu deviendras très véloce. Cette explication a pris quelques minutes. Elle m’a montré sur son clavier, une seule fois, la place des deux mains. Et c’est tout. Pour ce legs énorme, du fond du coeur merci, Cécile, jamais revue depuis cinquante ans.

Lorsque l’Underwood a fait son entrée majestueuse au domicile de la rue Daumas, je me suis plié scrupuleusement à ces indications. Je peux être très discipliné – par ambition littéraire. Très indiscipliné aussi, mais c’est une autre histoire. Depuis des années j’apprenais le piano, cela m’a donc été sans doute plus facile. Après quelques semaines, je tapais à la machine en virtuose. La vieille Underwood est restée à Oran au moment du grand départ précipité de la famille en juin 1961, j’avais quinze ans. Arrivé en Avignon, j’ai dû obtenir une petite Olivetti, plus compacte et discrète. Mon père avait de grandes espérances sur mon futur d’écrivain – et lui aussi aimait user du clavier, pour sa part avec les deux index. Puis j’ai acquis moi-même des Brother, les machines ont vu surgir les alimentations électriques, les rubans avec corrections et retours. Mon premier ordinateur Toshiba les a supplantées en 1987. Je n’ai jamais cessé d’écrire, toujours rapide, toujours exalté par la position devant le clavier. Les brouillons manuels ont peu à peu disparu.

C’est pourquoi le souvenir de la vieille Underwood m’est précieux, doux, paisible, infiniment attendri. Je lui voue une reconnaissance intangible, que je manifeste à chaque nouvelle entrée dans ce « Journal public » en convoquant son image tutélaire en tête de la publication. Je la sens toujours là, devant moi, elle ne m’a jamais quitté. Avec sa frappe toute particulière, ce petit délai à vide entre l’appui sur la touche et le déclenchement du bras qui pousse la lettre et l’envoie cogner sur le papier, il me semble qu’elle m’accompagne, me surveille, et me protège.

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