13.02.16.

Par rapport à la première année du « Journal », il me semble que le contenu à venir des nouvelles séquences du « Journal public » pourrait s’infléchir comme suit.

Tout d’abord, je vais sans doute continuer de proposer une réflexion, de type « politique », comme l’était principalement celle qui a couru dans les interventions précédentes. J’avais vu alors apparaître, peu à peu, deux sortes de règles que je suivais sans me les être formulées d’emblée, mais qui s’imposaient avec les jours. D’une part, une règle que j’ai dite d’inactualité – toute relative, bien sûr, et cette modestie d’apparence ne doit pas cacher une ambition sans doute très forte, qui est de toucher à une actualité plus essentielle, plus profonde. Cela consistait surtout à ne pas réagir sur le moment à des effets de contagion médiatique, lorsqu’un événement, vraiment ou faussement important, occupe toutes les pensées pendant quelques heures ou quelques jours, et en tout cas prend le devant dans les informations et commentaires. Il peut s’agir d’un événement majeur, comme nous en avons tous à l’esprit pour la période récente. Ou d’une petite agitation de surface. Dans les deux cas, pour des raisons distinctes, il m’a paru important de différer le fait d’en parler, ou d’écrire à son propos : ou bien pour tenter de voir apparaître de vrais éléments de compréhension, qui souvent se cachent à la première apparition des choses lorsqu’elles sont vraiment de grande portée ; ou bien, s’il s’agit de futilités, pour les laisser s’effacer d’elles-mêmes, malgré la démangeaison d’écriture, agacée ou laudative, qu’elles auront pu provoquer. Deuxième règle, qui rejoint un peu ce que je viens de dire : le principe de ne pas écrire contre. C’est faux, bien sûr : on écrit toujours aussi contre, et c’est salutaire. Il faut bien penser par opposition aussi, par différence, et certains écarts doivent être soigneusement inscrits ou accentués. Mais enfin : il est pour moi de toute première urgence de tenter de formuler les choses en termes positifs, et surtout de ne pas céder à la manie dénonciatrice qui est devenue l’affect spontané de la plupart des conformismes. Je sais bien que, disant cela, je dénonce aussi. Mais c’est surtout pour tenter de me donner l’objectif de penser ce qui aide à voir les lignes d’avenir, le vivant, plutôt que de me caler dans la position d’anathème. En tout cas c’est une tentative. Ces deux règles devraient continuer de s’imposer – même si, bien sûr, je ne manquerai pas d’y déroger à l’occasion, mais à l’occasion seulement, et sans les renier si possible.

En dehors de cette continuité, quelles évolutions s’annoncent, donc ? On n’écrit jamais tout à fait pour exécuter un programme défini et préalablement formulé. L’écriture est aussi un apprentissage, où des lignes de force se dégagent, qu’on n’avait pas vues. Donc je ne sais pas, d’un savoir assuré, ce qui va se produire – ni même si je vais parvenir à écrire comme je le souhaite. Mais je sens en tout cas des élans, des sortes de mouvements, qui pourraient me porter à infléchir les textes dans les deux directions que voici. D’une part, je suis aujourd’hui engagé dans une confrontation théorique avec certains courants et conjonctures de pensées théologiques. Je les préciserai bientôt. Jusqu’à présent, là-dessus j’ai fait plutôt silence. (Pas tout à fait cependant.) Mais je voudrais donner à lire, de façon explicite, les débats que je nourris ou qui me nourrissent – première inflexion. Deuxièmement : j’ai voulu me tenir éloigné de toute tentation de journal intime, et cela continuera. Mais il y a un point de croisement entre l’intime et le public : c’est le champ de l’hésitation. Je voudrais, sans raconter d’événements trop personnels (je le fais ailleurs, dans des textes et récits en cours, qui m’occupent depuis plusieurs années, et que j’espère bien voir déboucher vers l’édition un jour ou l’autre) faire place à des moments où l’interrogation n’est pas encore tout à fait construite, où les objections se présentent à l’état natif, et donc à des temps de pensée plus incertaine, plus hésitants. Bien sûr, j’ai toujours présenté mes réflexions à titre d’hypothèses, sans prétendre à la certitude. Mais elles sont, en général, organisées de façon construite. Ce dont je parle ici est de donner un peu plus de place à des blocs fragmentaires, coupés, laconiques – ce qui se rapproche, quant à la forme au moins, un peu du genre du journal intime, et que je voudrais laisser contaminer partiellement le discours que je vais proposer.

Mais nous verrons. Ce ne sont que des intentions, des souhaits. L’écriture avance à sa guise.