conception et mise en scène :
Denis Guénoun
interprétation :
Stanislas Roquette
créé au Théâtre Marigny le 10 octobre 2010, dans le cadre du Centenaire de Jean-Louis Barrault, à l’invitation de Marie-Françoise George. Repris depuis le printemps 2012 (Paris-Pavillon de l’Arsenal, Festival d’Avignon, Théâtre National de Chaillot, Princeton, tournée)
Pour connaître les dates des prochaines représentations, voir la page « Agenda », lien dans la colonne de gauche
ou http://denisguenoun.unblog.fr/agenda-interventions-publiques/
La souffrance d’Antonin Artaud
Plus un rire, soudain. Alors que la salle avait souri et ri en voyant ou revoyant le film réalisé à partir d’archives, croquis d’un homme en marche, malicieux autant qu’audacieux, alors que certains des épisodes évoqués en quelques pages par Denis Guénoun, et les premières lettres, même, qu’Antonin Artaud adressa à Jean-Louis Barrault, pouvaient être pris avec une franche gaieté, le silence se fit sur la salle. On sentit ce silence. Stanislas Roquette venait d’enfoncer sur son crâne un large béret, s’enfouir dans un grand manteau noir et une écharpe de laine…Appuyé côté jardin, dans le décor d’ailleurs heureux de Jean-Michel Adam pour L’Amant de Pinter qui se joue actuellement, Artaud entrait dans la période de Rodez….
“Mon très cher ami….”. Lettre datée du 15 avril 1943. Il y a cinq ans et sept mois qu’Antonin Artaud est interné. Il remercie Barrault pour un chèque. Mais il aurait aimé un mot. “Vous connaissez pourtant bien mon cher Jean-Louis Barrault l’effroyable histoire de police et d’envoûtement qui est à l’origine de cet internement.” Barrault lui écrit. Artaud lui répond le 5 octobre 43. La souffrance du poète, la souffrance de cet homme magnifique, est atroce et la manière pudique, puissante, vraie dont Stanislas Roquette nous la transmet tient du prodige. Lui-même est un poète. Sans effet. Presque sans effet même lorsqu’il parvient à retrouver les deux voix qui déchirent Artaud depuis toujours, il nous le rend proche jusqu’à l’insoutenable.
Ils s’étaient rencontrés chez Dullin, à l’Atelier. Le jeune Barrault de 25 ans a lu, à l’invitation de Tania Balachova, Tandis que j’agonise de William Faulkner. C’est une révélation. Une déchirure souligne même Denis Guénoun dans sa brève introduction. Le spectacle va frapper Artaud qui écrit un texte qui sera publié par la N.R.F. Son avis est très important. Mais ce sont aussi deux camarades qui font les chevaux sur le boulevard Rochechouart…
Au fil de ce qui se dit, des formules de Jean-Louis Barrault à propos d’Antonin Artaud, “royalement beau” et d’une énergie qui balaye tout : “on avait monté un moteur d’avion sur une voiture de tourisme”. “Un enfant incendié par lui-même”. “Artaud n’arrêtait pas de se quitter”. Il était “d’une aristocratie fondamentale.”
Il est surtout d’une intelligence, d’une clairvoyance, d’une sensibilité bouleversantes : il sent tout dit aussi Jean-Louis Barrault, il sait tout capter, il voit tout ce qui se passe autour de lui, il est d’une porosité totale, tout le traverse, il analyse tout, il comprend tout.
On ne va pas reprendre ici le contenu de ces lettres. Elles sont dispersées dans plusieurs volumes de la correspondance. Mais Barrault les fit éditer ensemble et Janine Roze, à l’origine de cette célébration du centenaire, en possède un exemplaire qu’elle a transmis à Denis Guénoun qui, au passage l’a remerciée saluant aussi l’énergie et l’imagination de Marie-Françoise George, qui travailla auprès des Renaud-Barrault et organise ces précieuses soirées.
On a salué dans ces colonnes, en juin dernier, le jeune (il est né en 1984) Stanislas Roquette. Avec Denis Guénoun, il avait présenté un merveilleux moment de haute pensée, de littérature, de théâtre lors des rencontres de Brangues consacrées aux relations de Paul Claudel et de Jean-Louis Barrault. Ils avaient choisi le Livre XI des Confessions de Saint Augustin. Un très grand moment. On est heureux d’apprendre que, dans une production du TNP, il va être repris en tournée. Il serait idéal que Artaud/Barrault aussi puisse continuer d’exister.
On est bien incapable de transcrire en mots de “blog” ce que nous a fait comprendre et vivre Stanislas Roquette par son interprétation, son incarnation construite, élaborée et libre, tenue et emportée, d’Antonin Artaud. Il est danseur. C’est l’âme d’Antonin Nanaqui Artaud qui danse. “Avec lui ce fut la métaphysique du théâtre qui nous entra dans la peau”. “Dans notre âme, le feu et le rire faisaient bon ménage.”
On trouve les lettres adressées par Antonin Artaud à Jean-Louis Barrault dans les tomes 5, 8, 10, 11 des Oeuvres complètes (Editions Gallimard).
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